Service public ou rentabilité financière, il faut choisir

Après le beau meeting du 14 décembre 2023 à Grigny et le constat officiel de l’échec des négociations entre Eau du Sud Francilien et Suez, le lendemain à Evry, analyse de cette situation inédite avec Jacky Bortoli, Conseiller communautaire délégué en charge du cycle de l’eau de Grand Paris Sud.

Photo Journal du Grand Paris

Avec la décision récente d’Aquavesc et de SENEO de reprendre à Suez la maitrise de la gestion de la ressource et du prix de l’eau (voir ici) et celle d’Eau du Sud Francilien de fixer unilatéralement le tarif d’achat de l’eau en gros, correspondant à la production et au transport, Suez et ses investisseurs, Meridiam /GIP/CDC, sont en échec sur l’ensemble du Sud Francilien où Suez exerçait depuis 1970 un monopole absolu sur la production et la distribution  de l’eau. Comment expliquez-vous cela ?

Jacky Bortoli : C’est nous qui avons la compétence eau, pas Meridiam /GIP/CDC/Suez. C’est en 2018 que Philippe Rio propose à ses collègues élus de mettre fin à cette mainmise de Suez sur le Sud Francilien. Veolia y voyant le risque d’une réappropriation publique du RISF (réseau interconnecté du sud francilien),  lance son OPA sur Suez. M. Pellegrini, Directeur général, annonce « le RISF  vaut 500 millions d’euros ». La conséquence en a été que les actions de Suez ont pris de la valeur. Meridiam, GIP faisant de la surenchère, les actifs s’envolent. Résultat, Meridiam/GIP/Suez annoncent en pleines négociations  un tarif passant de 0,60€/m3 à 1,19€/m3 alors que leur prix de revient en production  est de 0,28€/m3, dans l’objectif de protéger leur rente.

L’objectif serait donc de vous convaincre que la réappropriation, le retour au service public ne changera rien puisque pour eux, c’est la valeur des actifs qui fixe le tarif de l’eau ?

JB : Oui, exactement. Tout commence avec l’OPA de Veolia sur Suez car seul Meridiam/GIP/CDC en tire avantage dans le but  de  faire obstacle à notre exigence de réappropriation et au retour du RISF dans le service public. D’ailleurs au nom de Meridiam/GIP/ CDC, en pleine négociation, Mme Soussan poursuivant dans l’intimidation n’hésitera pas à nous écrire :

« Nous conservons évidemment des désaccords majeurs de nature conceptuelle puisqu’il n’a jamais été question pour Suez de réappropriation publique des installations ou de retour en propriété publique, mais de discussions concernant une potentielle cession d’actifs appartenant à Suez Eau France ».

Ce désaccord «conceptuel » veut dire: «  vous ne toucherez pas a nos dividendes, à nos bénéfices, à notre marge »

Nous ne sommes pas naïfs, la riposte ne s’est pas faite attendre, notre réponse a été : « Nous nous réservons le droit d’utiliser les voies et moyens à notre disposition pour engager des actions dont l’objectif in fine sera de permettre la réappropriation du réseau interconnecté par les collectivités et donc nos habitants »

Avec les décisions du 15 décembre (voir ici), finalement ce sont Meridiam /GIP /CDC/Suez et Veolia qui sont en échec ?

JB: Echec et défaite comme le journal les Echos le constate cette semaine (voir ici). Ces deux ans de négociations n’ont pas été inutiles ; ils ont permis d’accumuler les preuves de la nécessité de mettre fin à leur mainmise et de constater que la seule  poursuite du dialogue ne permettrait pas d’aboutir. Suez refusant de se passer de la poule aux œufs d’or et de devenir un simple prestataire de service public. Cela a le mérite d’être clair. Il signe de ce fait son « forfait » qui existe depuis 1970, à cet égard, il n’est pas exclu d’exiger des explications sur l’utilisation des gains financiers.

Maintenant nous savons comment s’est constituée la valeur des actifs qu’ils nous opposent et la colère est grande le 14 décembre au soir quand 150 personnes se sont retrouvées à l’appel d’ATTAC avec Michel Bisson, Philippe Rio, Jean-Claude Oliva, Jean-Jacques Grousseau, avec à l’ordre du jour, l’appui des associations, des usagers, à leurs élus pour passer à l’action le 15 décembre.

Quel rapport avec le vaudeville Suez /Veolia qui agite l’Île de France et le SEDIF ?

JB : C’est simple.  L’eau, l’air, l’énergie sont des biens communs:  ils ne peuvent plus être source de rentabilité financière, de parts de marché. Les élus, les services, l’Etat  ne peuvent plus être ceux qui arbitrent et répartissent des parts de marché sous couvert de libre concurrence. Car l’eau, l’air, l’énergie ne sont pas des marchandises. C’est peut-être l’autre versant de l’OPA de Veolia sur Suez. Il semble que M. Cambon, sénateur membre imminent du SEDIF ait «milité » en faveur de l’allotissement du contrat du SEDIF, évalué à 4 milliards d’euros avec l’OIBP. Ce choix aurait permis à Meridiam/GIP/ avec le nouveau Suez, un partage de ce marché… Ce ne sont bien sûr que des hypothèses.

Chacun sait qu’André Santini a une préférence marquée pour Veolia. Or un élément nouveau, un grain de sable, est venu s’introduire dans une mécanique bien huilé : l’OIBP de Veolia en Île de France a essuyé un refus quasi-général. Quel rapport?  C’est la marge!

Eux disent le prix de l’eau doit augmenter, nous nous disons ce sont vos marges qui doivent diminuer et la ressource doit être drastiquement préservée. Avec  l’usine de Saintry-sur-Seine exploitée en service public , c’est  0,19€/m3; à Morsang avec Meridiam/GIP/CDC/Suez, c’est 1,19€/m3  et 64 millions par an qui s’évaporent!

Quand vous parlez service public, eux parlent rentabilité financière…

JB: L’équilibre financier n’est pas un gros mot tant qu’il ne met pas en cause l’intérêt de la planète et du vivant. Le groupe Total est reconnu comme un profiteur de la crise énergétique et un pollueur. Mais Suez, en gavant ses actionnaires et en s’attaquant aux ressources de la planète, s’inscrit dans la même veine! Et là, il faut avoir le courage politique de dire stop, ça ne se négocie pas, c’est le sens des décisions d’Eau du Sud Francilien à l’égard de Meridiam/GIP/CDC/Suez, ou encore des négociations menées par Philippe Rio à Grigny, avec Coca Cola.

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