Les hausses des tarifs de l’eau sont inévitables et sont causées par celles des coûts de l’énergie, nous dit-on partout. Pourtant ce n’est pas si simple, les hausses ne sont pas générales et leurs causes sont multiples et souvent contestables : en Île-de-France, les nouvelles régies publiques d’Est Ensemble et du Grand Orly Seine Bièvre et Eau de Paris protègent les usagers de l’inflation. C’est ce qu’on attend du service public!
Le Parisien du 2 janvier titre « Inflation : pourquoi le prix de l’eau augmente à son tour partout en France » (lire ici) et explique « de nombreuses collectivités ou syndicats des eaux ont voté des hausses (parfois à deux chiffres) des tarifs à partir du 1er janvier. La faute aux prix de l’électricité et des matières qui ont bondi. » Mêmes explications de la Gazette des communes (lire ici) qui évoque « une explosion des coûts de l’énergie (les usines d’eau et d’assainissement sont très énergivores), mais aussi du prix des réactifs chimiques, des matériaux, des équipements et des travaux. Sans parler des impacts de la nouvelle directive eau potable du 20 décembre 2020, et de la nécessité d’investir pour mieux traiter les micropolluants. » Même France culture s’y met dans sa question du jour le 4 janvier « pourquoi le prix de l’eau augmente-t-il? « –Ecouter le podcast ici- Anne Creti, professeure d’économie à l’université Paris Dauphine, évoque « des processus énergivores dans la partie mécanique par exemple de pompage de l’eau” et “l’usage de produits chimiques dont le coût a augmenté car ils sont liés au coût du pétrole”. Pour l’économiste, la délégation au privé n’est pas un problème car les contrôles sont importants ; les confortables bénéfices des multinationales de l’eau n’entrent pas dans son analyse. Alors, la messe est dite, la hausse des tarifs est inévitable, comme le titre la Gazette des communes?
Hausse record au SEDIF: l’énergie n’y est pour rien
Certes le Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF) a augmenté ses tarifs de 21,5%, un record, à partir du 1er janvier 2023, pour les usagers domestiques et son délégataire, Veolia Eau Île-de-France (VEDIF) de 5,5%. Ainsi la part du SEDIF passe de 0,42€/m3 à 0,51€/m3 et celle de VEDIF de 0,91€/m3 à 0,96€/m3. Au total, la part eau potable de la facture passe de 1,33€/m3 à 1,47€/m3, soit une augmentation de 10,5%, ce qui représente environ deux fois l’inflation annuelle en 2022.
L’explication de la hausse vertigineuse de la partie qui revient au SEDIF ne peut pas être l’augmentation des tarifs de l’énergie, ni des substances chimiques nécessaires à la production d’eau potable. Car cela relève de l’exploitation des installations et du réseau, assurée par le délégataire, Veolia. Et même si M. Santini oublie parfois en partant d’éteindre l’éclairage de son bureau dans les locaux du SEDIF, rue Saint Benoit, cela ne peut expliquer une telle hausse!
Les explications se trouvent ailleurs, dans le plan d’investissement colossal de 870 millions d’euros qui concerne l’installation d’une technologie très coûteuse et contestée : l’osmose inverse basse pression… Et aussi dans le choix de ne pas réduire la voilure et de conserver la même infrastructure et donc les mêmes frais, malgré la perte de 17% du périmètre historique du SEDIF, après le départ d’Est Ensemble et de la moitié des villes du Grand Orly Seine Bièvre .
Veolia conforte sa rente
L’augmentation de la partie du délégataire, Veolia, semble plus raisonnable et correspond à peu près à l’inflation. Est-elle pour autant économiquement justifiée? En effet, Veolia Eau d’Ile de France (VEDIF), la filiale de Veolia délégataire du SEDIF, a réalisé des bénéfices record en 2021: 21,3 millions d’euros! 2021 est la meilleure année depuis le début du contrat avec le SEDIF en 2011. Ses bénéfices progressent de 11,41% d’une année sur l’autre. Cette confortable rente n’est pas menacée par les hausses des tarifs de l’énergie. L’augmentation des tarifs de l’eau sert à sanctuariser la rente au plus haut niveau au détriment des usagers.
Il ne faut pas oublier que l’objectif stratégique de Veolia est d’obtenir une augmentation massive des tarifs de l’eau. Déjà en 2018, Frédéric Van Heems, directeur général de Veolia Eau France, estimait le prix de l’eau « démagogiquement trop bas » et plaidait pour une augmentation de 40% du prix moyen, qui serait indolore, selon lui!
Le « défi écologique » du SIAAP
Le SIAPP, syndicat interdépartemental d’assainissement, a procédé lui aussi à une augmentation conséquente, 7,5%, le 1er juillet 2022. La justification avancée : répondre au « défi écologique« ! Depuis un nouvel accident industriel majeur, le troisième en quatre ans, a eu lieu dans son site historique d’Achères (lire ici) causant une pollution de l’air. Le défi écologique donne visiblement du fil à retordre au SIAAP.
Au 1er janvier, le SIAAP a remis ça avec une hausse de 12,5%. Dans le département de l’Essonne, la hausse s’est faite plus brutalement, en une seule fois au 1er janvier, +27% ! Paris et les départements de la petite couronne paient donc à présent 1,387€ HT/m3 pour le SIAAP (auquel s’ajoutent une part départementale et communale). Les usagers de l’Essonne et les Yvelines ayant un tarif du SIAAP de 0,922€ HT/m3. Les usagers de la petite couronne paient 50% plus cher pour sensiblement la même prestation.
En vingt ans, la part assainissement de la facture d’eau a fortement progressé et même doublé pour devenir de loin le premier poste devant l’eau potable et les redevances diverses. Ce modèle industriel qui fait la part belle à Veolia et à Suez craque de tous les côtés mais ne se réforme pas : en attendant les usagers (et les riverains et l’environnement) trinquent (Lire ici)
0% d’augmentation dans les nouvelles régies publiques
Depuis le 1er janvier 2023, les régies publiques nouvellement créées à Est Ensemble et à Grand Orly Seine Bièvre offrent aux usagers des tarifs sensiblement plus avantageux que le SEDIF. Les deux conseils de territoires ont en effet décidé de ne pas augmenter le tarif de la part collectivité (les 0,42€/m3 qui revenaient auparavant au SEDIF).
Les usagers subiront quand même l’augmentation du VEDIF, le contrat de délégation se terminant à la fin de l’année 2023. De ce fait, la hausse de l’ensemble de la partie eau sera de 3,8% seulement (à comparer au 10,5% de hausse pour les usagers du SEDIF). Dans un cas, au SEDIF, une hausse plus de deux fois supérieure à l’inflation (estimée à 5,2% pour l’année 2022 par l’INSEE); dans l’autre, une protection des usager·e·s avec une hausse nettement inférieure à l’inflation.
L’écart tarifaire se creuse entre Eau de Paris et le SEDIF
Eau de Paris a procédé à une augmentation de moins de 4% au 1er janvier 2023 pour atteindre 1,12€/m3. Le tarif est le même qu’à la création d’Eau de Paris, le 1er janvier 2010.
Là non plus, l’explication ne se trouve pas essentiellement dans la hausse des tarifs de l’énergie mais plutôt dans la baisse des recettes depuis la crise du Covid 19 qui a vu la consommation d’eau potable se réduire de façon significative dans la capitale.
L’écart entre Eau de Paris et le SEDIF qui était de 0,25€/m3 en 2022 (soit un tarif 23% plus cher pour le SEDIF) atteint à présent 0,35€/m3 (soit un tarif 31% plus cher pour le SEDIF). Décidément, les régies publiques sont un bouclier pour les usagers en temps de crise énergétique et économique.