Le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) veut utiliser une nouvelle technologie, l’osmose inverse basse pression (OIBP), pour obtenir « une eau pure ». Au delà de l’argument publicitaire, quelles sont les conséquences pour l’environnement et pour la facture des usagers ? Ceux-ci peuvent-ils avoir leur mot à dire ? Intervention d’Edith Félix, Co-présidente de la Coordination EAU Ile-de-France, lors de la soirée de l’Université populaire de l’eau et du développement durable du Val de Marne, le 22 mars dernier (à retrouver en intégralité ici). En bonus: avis de la MRAé au sujet de l’usine d’Arvigny à télécharger; osmose et osmose inverse, kezako?
« Nous évoquons ce soir le passage à la technologie de l’Osmose Inverse Basse Pression pour potabiliser l’eau. Ce que demande d’abord notre association, c’est que les usagers soient pleinement informés et qu’ils soient associés aux décisions qui les concernent.
En effet, on peut mettre en question la sincérité des objectifs du SEDIF, tels que déclinés dans la déclaration d’intention pour la transformation de l’usine d’Arvigny, en Seine et Marne, qui doit passer au processus d’OIBP. D’après le SEDIF, il s’agirait de répondre à une demande des usagers pour une eau sans calcaire et sans chlore, et d’anticiper de futures normes plus restrictives sur les taux de micropolluants, incluant les pesticides et les résidus médicamenteux.
La qualité de l’eau produite aujourd’hui dans l’usine d’Arvigny avec des procédés de filtration classiques est déjà largement suffisante.
Il n’y a pas de demande des usagers pour consacrer des investissements colossaux comme ceux qui sont envisagés.
Eau douce mais…facture salée
Ce qui est en jeu à Arvigny, c’est l’adoption du processus d’OIBP de façon généralisée pour toutes les usines du SEDIF. Cela représente 34 M d’€ d’investissement à Arvigny pour produire 22.000 m3/j. Si on extrapole aux 3 grosses usines de production du SEDIF, c’est près de 2 Milliards d’€ d’investissement qui sont en jeu, avec une répercussion sur la facture des usagers de +38 c d’€ pour un coût actuel de 1,30 € HT par m3, soit une augmentation de près de 30% de la part eau de la facture.
Il n’y a pas de demande des usagers pour recevoir de l’eau trafiquée comme celle issue du processus d’OIBP. En effet, le traitement par OIPB est tellement poussé (c’est le même que celui utilisé pour la désalinisation de l’eau) qu’on obtient à l’arrivée une eau déminéralisée impropre à la consommation. On dépense des sommes faramineuses pour obtenir une eau trop pure que l’on doit à nouveau couper avec 20% d’une eau issue d’une filière classique. Vu que pour les perturbateurs endocriniens, leur effet nuisible n’est pas dépendant de la dose, à quoi sert d’avoir épuré 80% de l’eau que l’on re-mélange avec 20% d’une eau de filière classique ? Cherchez l’erreur.
En sortie du processus de production de l’eau par OIBP, on obtient certes une eau débarrassée des micro-organismes qui justifient l’ajout de chlore dans l’eau pour raison sanitaire. Or c’est au niveau du transport de l’eau dans les canalisations que les normes actuelles imposent l’ajout de chlore. Le SEIDF ne peut pas prétendre aujourd’hui qu’il ne sera pas obligé de rajouter du chlore pour le transport.
Enfin, pour le nettoyage des membranes des filtres utilisés dans le processus OIBP, c’est du chlore qui est utilisé en amont de la production. On rajoute du chlore en amont du processus pour mieux l’éliminer ensuite. A nouveau, cherchez l’erreur.
Soit dit en passant sur les membranes, plus l’usine est grande, plus la part du coût des membranes, dont la durée de vie est limitée, est importante. Cela laisse à réfléchir avant la généralisation aux principales usines du SEDIF.
De sérieuses inquiétudes pour l’environnement
Enfin, nous avons de sérieuses inquiétudes pour l’environnement. Il y a plusieurs problèmes d’impact environnemental, qui sont clairement mis en évidence par l’avis de la Mission Régionale d’Autorité environnementale du 18 octobre 2020 (en lien en bas de l’article).
Pour produire la même quantité d’eau potable, le processus par OIBP utilise 10% d’eau en plus. La MRAe note que le projet du SEDIF ne prévoit pas de pompage supplémentaire dans la nappe calcaire du Champigny déjà en tension. D’où viendront alors les 10% d’eaux supplémentaires ? Le projet est invité à le préciser. Cherchez l’erreur.
L’usine d’Arvigny est une toute petite unité qui servirait de pilote. Si on doit généraliser l’augmentation du prélèvement en eau pour la production d’eau potable : actuellement le SEDIF prélève 336 millions de m3 par an. Si on ajoute 10% , cela correspond à un prélèvement supplémentaire annuel de 33 millions de m3 sur la ressource en eau – l’équivalent de 136 millions de bains de 250 l. Dire que le SEDIF appelle les usagers à maîtriser leur consommation d’eau et à prendre une douche plutôt qu’un bain! Quand on prescrit la sobriété aux usagers, il faut l’appliquer aussi aux proces industriels.
Le concentrât (liquide « enrichi » de toutes les substances retenues par la membrane) serait rejeté directement en Seine par une canalisation longue de plus de 7 km. Ce rejet se situerait en amont d’une usine de potabilisation proche. C’est un problème. Donc cela signifie qu’on va avoir des usines de potabilisation qui vont produire des rejets polluants. Il faudrait juste faire l’inverse : réduire les pollutions par des usages et des procédés industriels moins polluants, et filtrer les pollutions en sortie des usines.
Par ailleurs, la MRAe indique clairement que la construction de la canalisation impacte les habitats de plusieurs espèces rares en Ile-de-France, que l’étude d’impact du projet n’est pas assez poussée, qu’aucune promesse de la compléter n’est faite. Or l’impact est non négligeable sur la biodiversité. Est-ce ce que les usagers, s’ils étaient convenablement informés, veulent vraiment?
Le bilan énergétique du processus par OIBP est catastrophique. Pour Arvigny, on passerait de 1700 MWh/an à 4700 MWh/an soit plus 3000 Mwh/an. On triple quasiment les besoins en énergie. L’étude d’impact environnemental du projet néglige d’évaluer les émissions de gaz à effet de serre liées au projet. Et encore une fois, a-t-on besoin aujourd’hui de détruire davantage le climat pour un gain en qualité si faible ?
L’OIBP, arme de guerre économique?
Après donc la mention de ces difficultés voire incohérences auxquelles le projet de passage au processus d’OIBP est confronté, je voudrais tout de même revenir sur la raison d’être du projet, et en interroger la sincérité. Dans sa déclaration d’intention, le SEDIF déclare « Le projet ne découle d’aucun plan ou programme particulier mais de la volonté de modernisation et d’amélioration du traitement de l’eau potable ainsi que de l’anticipation de normes de qualité futures. »
Avec les 2 milliards d’investissement nécessaires pour passer toutes les usines du SEDIF au processus OIBP, le SEIDF prévoit de passer la durée de ses amortissements de 50 ans, à 75 ans, moitié plus. Pourquoi un tel engagement pour une technologie qui n’est aujourd’hui pas nécessaire, si ce n’est pour opérer une offensive compétitive sur les marchés de l’eau ? En effet, ce que le SEDIF cherche, c’est d’imposer cette technologie comme incontournable sur toute l’Ile-de-France afin d’éliminer ses concurrents. Pourtant le SEDIF est un acteur public, pas une entreprise privée, cherchez l’erreur.
Or aujourd’hui, la filière classique de traitement est parfaitement suffisante pour la plupart des eaux prélevées non calcaire et pour éliminer une partie des micropolluants organiques. Et la question du chlore est davantage une question de transport. L’objectif du SEDIF de produire « une eau pure, sans calcaire et sans chlore », est un faux objectif.
L’usager francilien ne veut pas être pris en otage d’une surenchère technologique ni d’une offensive de compétitivité.
Il veut être pleinement informé.
Nous demandons les réponses à toutes les questions qui sont soulevées. Nous demandons une consultation générale des usagers du SEIDF pour qu’ils se prononcent sur le bien fondé du passage à l’OIBP. »
Lire l’avis de la Mission Régionale d’Autorité environnementale du 18 octobre 2020
Osmose et osmose inverse, de quoi s’agit-il?
(source Wikipédia)
Ce phénomène concerne uniquement les échanges entre deux solutions liquides qui ont des concentrations de solutés différentes, séparées par une paroi semi-perméable. L’osmose est le phénomène de diffusion de la matière, caractérisé par le passage de molécules de solvant d’une solution vers une autre à travers la membrane semi-perméable qui sépare ces deux solutions dont les concentrations en soluté sont différentes ; le transfert global de solvant se fait alors de la solution la moins concentrée (milieu hypotonique) vers la solution la plus concentrée (milieu hypertonique) jusqu’à l’équilibre (milieux isotoniques).
Une différence de pression hydrostatique entre les deux liquides provoque un mouvement du solvant en sens inverse, jusqu’à ce que la pression osmotique soit aussi élevée que la pression hydrostatique. C’est le phénomène de l’osmose inverse.