Les coupures d’eau pour impayés sont illégales et pourtant elles se poursuivent

En France, une loi interdit les coupures d’eau dans les résidences principales. Cette loi est mal connue et pas toujours appliquée. Depuis que le texte de loi est affiché sur le site la Coordination eau Ile-de-France, les gens sont nombreux à se plaindre d’une coupure d’eau, une situation particulièrement difficile à vivre pour les personnes en situation de précarité.

.  © Radio France/Martine Bréson

La loi Brottes du 15 avril 2013, qui interdit formellement les coupures d’eau dans les résidences principales, ne plait pas du tout à ceux qui distribuent et qui gèrent l’eau.

Il y a encore des coupures d’eau en Ile-de-France : le reportage d’Isabelle Piroux  (01’18 »)

https://www.francebleu.fr/player/export-reecouter?content=1692245

Les distributeurs d’eau sont contre cette loi et ses décrets et ils l’ont fait savoir au ministre Ségolène Royal. Ils ont demandé au ministre de l’Ecologie de restreindre la portée de cette loi. Ils souhaiteraient qu’elle ne concerne que les personnes en difficulté qui sont identifiées par les services sociaux. Ils voudraient pouvoir couper l’eau à ceux qui « oublient » de payer leurs factures.

Pour la Coordination Eau Ile-de-France, beaucoup trop de gens sont encore victimes de coupures d’eau parce qu’ils n’ont pas pu payer leur facture ou parce qu’ils contestent la somme exigée. « On a des gens qui sont en litige avec les compagnies d’eau, et donc là, la coupure d’eau est un moyen de pression pour ne pas négocier, pour qu’ils acceptent les conditions que leur imposent les sociétés » explique Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Ile-de-France.

Il y a encore des coupures d’eau en Ile-de-France : le reportage d’Isabelle Piroux  (01’18 »)
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La Coordination Eau Ile-de-France est un réseau qui rassemble des citoyens et des associations qui se battent pour que l’eau soit considérée comme un bien commun.

A l’étranger, certains pays ont déjà tranché sur le sujet.

En Angleterre, en Ecosse, en Suisse et en Russie les coupures d’eau pour impayé sont interdites. En Belgique ou au Pays Bas, il faut une décision du tribunal pour couper l’eau.

Reportage diffusé sur France bleu le Jeudi 07 août

Pour les Nations Unies, couper l’eau en cas d’impayés est une violation des droits de l’homme

En juin 2014, les experts des Nations Unies pour l’eau et l’assainissement, pour le logement et pour la pauvreté extrême ont exprimé leur préoccupation concernant les coupures d’eau pour impayés, pratiquées sur une grande échelle à Détroit aux Etats-Unis dans une ville touchée par le chômage et la pauvreté. Ils ont officiellement déclaré que « les coupures d’eau pour impayés causés par un manque de ressources constituent une violation du droit de l’homme à l’eau et d’autres droits de l’homme ».

Selon Catarina de Albuquerque, l’Experte des Nations Unies pour l’eau et l’assainissement, « de telles coupures ne sont tolérables que si l’usager est en mesure de payer l’eau mais ne la paye pas. Dès lors qu’il a une réelle impossibilité de payer l’eau, les droits de l’homme interdisent toute coupure d’eau ». Selon les experts des Nations Unies, si une coupure injustifiée a eu lieu, l’alimentation en eau doit être rétablie sans délai.

Les coupures d’eau que pratiquent encore certains distributeurs français constituent donc à la fois une violation des engagements internationaux de la France et une violation d’une disposition nouvelle du droit français (CASF L 115-3, loi Brottes). De telles coupures affectant des personnes en situation de précarité apportent la preuve que certains distributeurs français se moquent de la loi qu’ils ont pourtant mission de respecter.

Henri Smets

Membre de l’Académie de l’Eau

Coupures d’eau : les multinationales hors la loi

Couper l’eau pour impayé dans une résidence principale est illégal en France depuis le 16 avril 2013. Cette interdiction est valable pour tous et toute l’année. Les distributeurs d’eau semblent aujourd’hui ignorer ce profond changement législatif et continuent de couper l’eau dans les familles françaises parfois sans préavis, souvent sans même chercher un arrangement. Ils privent arbitrairement des personnes, pour la plupart en situation de grande précarité, d’une vie digne.

Difficile de chiffrer le nombre de coupures d’eau par jour mais elles sont nombreuses, comme en atteste les appels à l’aide que nous avons reçu depuis le publication de l’article écrit par Henri Smets, informant sur l’illégalité des coupures d’eau en France.

Vous êtes victime d’une coupure d’eau? Voici un guide pratique pour agir>>>ici

L’accès à l’eau est un droit fondamental. Les acteurs de l’eau n’ont de cesse de nous rappeler que nous partageons tous cette évidence. Pour autant, l’obsession économique de notre temps les fait devenir sourds à la protection de la dignité humaine quant il s’agit de parler d’argent. Mais couper l’eau pour impayé n’est pas un acte économique, c’est tout simplement une violation des droits humains.

Pour bien comprendre ce que veut dire couper l’eau en France, écoutez ce reportage de France Culture

COUPER L’EAU POUR IMPAYÉ’, C’EST ILLÉGAL ET INHUMAIN
Dans la société occidentale moderne, le poids de la légalité est puissant alors que le poids de la moralité semble parfois avoir simplement disparu. En dénonçant les coupures d’eau en réponse aux impayés, nous mettons en lumière les dérives de notre société économique qui n’hésite pas à se mettre hors la loi tant que personne ne réagit.

Mais nul n’est censé ignorer la loi. Alors au lieu de faire comme si elle n’existait pas, comme s’il s’agissait d’une erreur du législateur, les multinationales de l’eau auraient dû montrer l’exemple, prendre en compte et faire cesser leurs coupures dès la promulgation de la loi. Elles ne l’ont pas fait comme le prouve les demandes qui remontent vers nous depuis maintenant plusieurs semaines.

Rappelons ce que dit la loi « Brottes » n° 2013-312 du 15 avril 2013 : « Du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année. »

Depuis l’adoption de la loi « Brottes » et son application par décret n° 2014-274 du 27 février 2014, la disposition législative est très claire : Les distributeurs d’eau ne peuvent pas couper la fourniture en eau dans une résidence principale pour motif d’impayé.

France Libertés et la Coordination Eau Ile de France demandent à tous les maires de France – qui rappelons-le sont responsables de la gestion de l’eau – de veiller à ce qu’aucune résidence principale de leur territoire ne subisse de coupure d’eau pour non-paiement de factures.

Nous demandons également aux entreprises de l’eau (notamment aux trois grandes multinationales de l’eau que sont VEOLIA, la Lyonnaise des Eaux et la SAUR) de stopper toutes les coupures d’eau pour impayés immédiatement en France.

Enfin, nous demandons au médiateur de l’eau de s’emparer de cette question pour faire appliquer la loi.

Afin que ces demandes ne restent pas sans suite, nous appelons tous les citoyens français qui subissent actuellement une coupure d’eau à agir avec nous. Aidez-nous à faire appliquer la loi !

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La privatisation de l’eau en échec en Grèce

Deux bonnes nouvelles nous viennent de Grèce où les tentatives de privatisation des entreprises publiques de l’eau et de l’assainissement font long feu, face à la mobilisation citoyenne.

La première concerne la décision rendue par la tribunal d’Athènes faisant injonction à  HRADF (le fonds privé, chargé de la vente des biens publics) de répondre à la demande d’accès à l’information présentée par “l’Union Citoyenne pour l’Eau”, une branche du syndicat des coopératives de l’eau de Thessalonique, créée par Initiative K136, pour demander 51 % des parts dans EYATh, la compagnie publique d’eau de Thessalonique, au nom des citoyens.

Par trois fois, HRADF avait refusé de donner des informations sur les processus de privatisation sous prétexte qu’elles étaient réservées aux éventuels acquéreurs privés. Le tribunal d’Athènes fait injonction à HRADF de donner à l’Union Citoyenne pour l’Eau tous les documents et informations demandés. HRADF ne peut se réclamer de son statut d’entreprise privée et doit se soumettre à une certaine transparence, ainsi que l’impose la décision de la Cour Européenne de Justice du 19/12/2013 Case Fish Legal dictant que « l’accès à l’information sur l’environnement, l’eau, l’assainissement et la privatisation de ce secteur, dans le cas où des compagnies privées ont recu une délégation de l’Etat pour réaliser ces travaux dans le cadre du « service public » doit être facilité. »

La deuxième nouvelle est la décision prise le 14 juillet, lors de discussions entre le premier ministre Antonis Samaras, le représentant de la coalition gouvernementale Evangelos Venizelos et deux ministres clefs, de ne pas privatiser les compagnies grecques publiques de distribution d’eau et d’assainissement. Cette décision fait écho à celle du conseil d’Etat sur la compagnie publique d’eau à Athènes mais s’applique également pour Thessalonique. Elle renforce l’exigence populaire de voir l’eau comme un bien public.

 

Les coupures d’eau pour impayés sont interdites dans de nombreux pays

Au Royaume-Uni, la loi interdit les coupures d’eau pour impayés depuis 1999. En France, la loi Brottes (avril 2013) a introduit la même interdiction. Il en est de même en Ecosse, Irlande, Russie et Suisse. En France1, en Belgique2 et aux Pays-Bas3, les tribunaux se sont prononcés contre les coupures d’eau. Voici un exemple récent proche de la France.

En Belgique (Région wallonne), la coupure d’eau n’est pas interdite par la loi mais doit impérativement être demandée en justice.En 2013, un tribunal belge a interdit à une société de distribution d’eau de couper la fourniture en eau d’un consommateur en retard de paiement de factures jusqu’à l’apurement intégral des sommes dues. Le raisonnement de la Cour belge est d’autant plus intéressant qu’il se fonde sur le principe général du droit à l’eau.

La 3e Chambre civile de Charleroi, statuant en appel en 2014, se refuse à couper l’eau car l’eau « est une ressource commune et vitale à laquelle tout être humain a droit », même s’il ne paie pas ses factures. “ En l’état actuel de notre société, il n’est pas raisonnable qu’une personne soit privée totalement d’eau. Pour le tribunal, un fournisseur d’eau remplit « une mission de service public qui touche aux droits fondamentaux de tout être humain, mission manifestement incompatible avec la possibilité de priver une personne totalement d’eau ». Il “a une mission de service public qui touche aux droits fondamentaux de tout être humain, mission manifestement incompatible avec la possibilité qui lui sera donnée de procéder à une coupure totale en cas de défaut persistant du paiement des factures”.

Pour le tribunal belge, autoriser un fournisseur à interrompre totalement l’alimentation en eau d’une personne « met en péril la dignité humaine ». Si un arriéré de paiement est constaté, la solution dans l’état actuel de notre société est, selon ce tribunal, « de maintenir un débit minimal afin que le consommateur ne puisse obtenir que l’écoulement d’un filet d’eau ».

Henri Smets, Membre de l’Académie de l’Eau

1 Les tribunaux français ont condamné les coupures avant même qu’elle soient interdites. Voir Henri Smets : La prise en charge des dettes d’eau des usagers démunis en France, Johanet, Paris, 2008, p. 185.

2 En Belgique, avant une coupure, il faut une autorisation préalable d’un Tribunal En 2009, il y a eu 1 712 coupures pour impayés en Belgique, soit moins de 1.5 pour dix mille habitants.

3 Voir « Le droit à l’eau potable et à l’assainissement en Europe », Johanet, Paris, 2012, étude de JP. Haumont, p. 233 étude de H. Smets, p 383, de M. van Rijswick, p.566.

 

Eau pour tous en France

Les Français sont prêts à être solidaires. Par Emmanuel Poilane, Directeur de France Libertés Fondation Danielle Mitterrand.

L’eau pour tous peut sembler être une évidence dans notre pays: sans eau pas de vie. La France est un pays attaché aux valeurs humanistes. Donc le droit à l’eau pour tous est une évidence.

Malheureusement ce n’est pas encore une réalité. Aujourd’hui, en France, près de 300.000 personnes n’ont pas droit à l’eau du fait de leur mode de vie ou de leur situation de grade précarité et près de 2 millions de personnes sont en grande difficulté pour payer leur facture d’eau.

La crise économique étant d’une extrême violence, nous devons absolument trouver les moyens de partager plus ce qui est l’essentiel pour vivre dignement. Le droit à l’eau est évidemment le premier bien commun de partage car au-delà du besoin essentiel il représente la vie même.

Une société qui ne sait plus offrir de l’eau pour tous est-elle encore une société civilisée?

Afin de creuser cette question, la Fondation France Libertés a décidé d’interroger les Français pour connaitre leur opinion face aux difficultés d’accès à l’eau des plus démunis en France. Les résultats de cette enquête sont très intéressants et montrent que les Français sont préoccupés par cette problématique, qu’ils sont peu informés, mais surtout qu’ils sont prêts à être solidaires pour que le droit à l’eau pour tous devienne enfin une réalité dans notre pays.

Les chiffres du sondage sont éloquents:

  • 95% des Français considèrent qu’aider les plus fragiles à accéder à l’eau est quelque chose d’important
  • 78% des Français sont favorables à la mise en place d’un fonds destiné à aider les personnes en difficulté à accéder à l’eau
  • 70% des Français qui achètent des bouteilles d’eau sont favorables à la création d’une contribution solidaire de 1 centime d’euro sur chaque bouteille d’eau vendue pour financer l’accès à l’eau des plus démunis.

Lire l’article intégral 

un réseau qui réunit citoyens et associations autour de la ressource en eau en Île-de-France et sur tout le territoire français, sur tous les aspects: social, environnemental, économique, juridique, de la santé, culturel…