Pesticides: on ne peut rien faire, vraiment?

Des trois réunions de proximité organisées par la commission du débat public et du débat à l’Académie du Climat, à propos du projet du SEDIF de généraliser la technologie de l’OIBP à ces principales usines, se dégage une constante dans l’argumentation pourtant fluctuante du SEDIF. C’est de prétendre qu’on ne peut rien faire contre la pollution de l’eau par les pesticides. C’est évidemment faux.

Les ingénieur.e.s du SEDIF l’expliquent doctement. A la différence d’autres producteurs d’eau potable (suivez mon regard) qui utilisent des eaux de nappes souterraines, le SEDIF lui utilise à 97% des eaux superficielles, de la Seine, de la Marne et de l’Oise, très polluées. Les actions de prévention par la protection des aires d’alimentation de captage (par exemple, en favorisant la conversion des agriculteurs au bio comme le fait Eau de Paris, voir ici) ne peuvent s’appliquer au SEDIF car la zone  à protéger est trop étendue, c’est 12% du territoire national!

Cette vision est caricaturale pour plusieurs raisons. Certes 60% de la surface du bassin de la Seine soit 5,7 millions d’hectares, sont consacrés à l’agriculture. Mais ce chiffrage inclut les cultures en aval de la région parisienne, la Seine aval et les bocages normands, qui représentent environ un tiers du bassin de la Seine, et dont les eaux de surface n’alimentent pas les usines du SEDIF. La zone  concernée par le SEDIF représente, en réalité, moins de 6% du territoire national.  Les 12% sont-ils une exagération volontaire pour en rajouter sur l’impossibilité d’agir contre les pesticides?

Le SEDIF explique qu’il serait plus facile d’agir contre la pollution dans les eaux souterraines que dans les eaux superficielles et donc, qu’il ne pourrait rien faire En réalité, Il y a beaucoup moins d’effets de concentration dans les eaux superficielles que dans les nappes. Ainsi, les pics de concentration des pesticides dans la Seine correspondent-ils fidèlement à la saisonnalité d’épandage des pesticides et aux périodes pluvieuses. C’est ce que montrent les études réalisées par le PIREN Seine qui réunit tous les travaux universitaires depuis 1989 pour améliorer la qualité de l’eau de la Seine. L’agence Seine Normandie, le SEDIF et Suez contribuent d’ailleurs à son financement.

Ainsi les travaux du PIREN Seine montrent  des pistes à creuser pour la protection non seulement des nappes phréatiques mais aussi des ressources superficielles. Après avoir caractérisé les processus de transmissions des pesticides depuis les sols jusqu’aux cours d’eau, la logique serait d’identifier les surfaces prioritaires sur lesquelles aider les agriculteurs pour limiter les apports de pesticides aux cours d’eau. Ensuite, il s’agirait d’agir sur ces surfaces qui ont un impact avéré en terme de pollution de l’eau et non sur la totalité de la surface agricole du bassin de la Seine.

Contrairement au discours du SEDIF, agir sur les surfaces pertinentes devrait avoir un effet plus rapide sur les teneurs dans les cours d’eau que les mesures de protection engagées vis-à-vis des nappes souterraines, où la concentration augmente avec le temps. Or, on constate que là où des actions ont été entreprises sur les nappes souterraines, elles portent déjà leurs fruits : dans le secteur de la Vanne, où les projets de soutien d’Eau de Paris à l’agriculture biologique, menées depuis une douzaine d’années, sont les plus avancés, les concentrations en métabolites de chlorothalonil, par exemple, sont les plus faibles. On devrait atteindre des résultats intéressants pour les eaux superficielles dans un laps de temps plus court. Encore faut-il commencer un jour…

Télécharger la fiche résumant les travaux du PIREN Seine sur l’impact de l’agriculture

Que signifie l’échec du plan Ecophyto?

Le SEDIF essaie aussi de tirer  parti de l’échec du plan gouvernemental Ecophyto pour conclure qu’il n’y a rien à faire. Si l’échec de ce plan est avéré, les incohérences et le manque de détermination de l’Etat pour diminuer de moitié l’usage des produits l’expliquent largement (Lire ici). Mais regardons quand même les chiffres qui concernent le SEDIF. Le SEDIF a consacré à ce plan deux millions d’euros en dix ans, soit 0,2% de l’effort national. Autant dire qu’il n’a même pas essayé. On peut aussi comparer cette somme à l’investissement de 870 millions d’euros annoncé pour la mise en place de l’osmose inverse basse pression. La priorité du SEDIF est le tout curatif, pas la prévention.

Le choix politique de l’inaction

Le SEDIF s’est également payé les services d’une  avocate et ancienne ministre de l’environnement, Mme Corinne Lepage, pour enfoncer le clou du renoncement à la lutte contre les pesticides, sous l’angle politique cette fois. L’argument est simple: les maires qui ont pris des arrêtés anti-pesticides ont été déboutés par la justice. Dans ces conditions, que voulez-vous que fasse le SEDIF? Il ne peut décidément rien faire ! Outre qu’il est assez étrange d’entendre une avocate des causes environnementales et une femme politique, plaider l’inanité de l’action politique, le SEDIF ne nous a pas habitué à cela non plus.  L’éternel président du SEDIF, M. Santini (qui ne se commet pas jusqu’à présent dans le débat public) a autrefois été à l’origine d’une loi, la loi dite Oudin-Santini. Plus récemment, un de ses vice-présidents, M. Cambon, a bataillé ferme à l’assemblée nationale pour revenir sur l’interdiction des coupures d’eau pour impayés (Lire ici). C’est dire que le SEDIF a une réelle capacité d’influence politique et que s’il avait la moindre velléité d’une action contre les pesticides, il serait en mesure de la mener. D’autant que de nombreux maires et président.e.s de régies haussent le ton à ce sujet (Lire ici). Une action politique rassembleuse et victorieuse est à portée de main. Encore faut-il le vouloir. Le SEDIF ne le veut pas. Il s’entête et s’isole des autres opérateurs et autorités organisatrices. Outre le coût financier, son projet pourrait avoir aussi un lourd coût politique.

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