Le Syndicat des eaux d’Île-de-France (SEDIF) veut généraliser un nouveau procédé de traitement de l’eau potable (voir ici sa synthèse et sa présentation). Les documents du SEDIF ayant évolué, voici notre analyse critique également renouvelée.
1 – Le dossier technique assouplit la contrainte sur le choix des membranes, autorisant la combinaison nanofiltration/OIBP, ce qui permettrait notamment de maintenir la minéralisation minimale, sans mélange avec des eaux n’ayant pas suivi de traitement membranaire (30 % ne devaient pas suivre l’étape membranaire dans le projet initial). Les concurrents peuvent ainsi optimiser leur offre en jouant sur la combinaison investissement/performance/consommation d’énergie. Le choix du tout membranaire aura cependant nécessairement un impact sur le coût d’investissement, la consommation d’énergie et la production de concentrats, ce qui n’est pas explicite dans le dossier.
2 – L’augmentation du coût pour l’usager est maintenant de 0,30 à 0,40 €/m3 (auxquels se rajoutent taxes et redevances), au lieu de la valeur avancée jusqu’ici de 0,22 €/m3. Le SEDIF confirme ainsi ce qui est opposé depuis l’origine, à savoir que le coût dépassera 0,3 €/m3. A noter en outre, compte tenu de l’inflation, du choix du tout membranaire ci-dessus, et des incertitudes sur le coût de la dette que ce coût sera certainement encore renchéri. Pour mémoire, un coût de 0,30 à 0,40 € HT/m3 représente déjà un doublement du seul coût de production (hors coûts de distribution d’eau potable).
3 – Le SEDIF confirme une baisse des investissements consacrés au renouvellement des réseaux, qui passent de 18,1 km renouvelés par an à 16 km par an dans le nouveau plan pluriannuel d’investissement.
4 – le SEDIF souligne que la problématique des pesticides « ne sera pas résolu à court ou moyen terme » (comprendre dans les cinq à dix prochaines années) pour justifier la mise en place des technologies membranaires. Aucun renforcement des mesures d’accompagnement pour la protection des bassins versants n’est envisagé. Seul ressort un constat d’inefficacité à moyen terme des timides mesures engagées jusqu’ici autour des seuls captages en eau souterraine de la nappe du Champigny (qui représentent une partie infime des ressources utilisées par le SEDIF, essentiellement superficielles. Quoiqu’il en soit, on remarquera que les technologies membranaires haute performance ne seraient fonctionnelles à Choisy et Neuilly sur Marne que dans une dizaine d’années. Dans ce délai les usagers continueront à consommer de l’eau non conforme pour le métabolite du Chlorothalonil mais toujours potable au regard de la valeur sanitaire transitoire fixée par les autorités sanitaires.
5 – Le dossier rappelle une information importante de l’ANSES selon laquelle l’exposition chronique des populations aux pesticides en France provient à 5 % de la consommation d’eau du réseau et à 80% de l’alimentation (productions végétales notamment). C’est donc bien aux causes qu’il faut consacrer des efforts considérables et pas au traitement de la seule question de l’eau de consommation. D’autant que la concentration des moyens sur les mesures curatives est démobilisante pour les mesures indispensables de prévention.
6 – Les conditions de migration et de concentration des pesticides dans les nappes phréatiques et les cours d’eau ne sont pas les mêmes. La majorité des usines d’Ile de France traitant des eaux superficielles, il y aurait lieu d’approfondir l’identification des périmètres d’action les plus pertinents pour l’accompagnement des agriculteurs. Il ne s’agit pas d’interdire l’utilisation de pesticides sur l’ensemble des bassins versants de la Seine, la Marne et l’Oise comme le suggère le SEDIF pour rendre l’hypothèse irréaliste, mais de définir par une étude auprès d’agronomes et d’hydrogéologues une zone à protéger (par des aides aux agriculteurs) de part et d’autre des cours d’eau, la réflexion devant porter aussi loin que nécessaire en amont et, bien entendu, au-delà de la seule Ile de France. Comme le précise le SEDIF dans l’un de ses graphiques, il y a bien une saisonnalité des teneurs en pesticides dans les ressources superficielles, corrélée avec les périodes d’épandage de pesticides. Ce qui implique qu’une action privilégiée sur les zones pertinentes de lessivage des terrains agricoles de part et d’autre des eaux de surface aura un impact sur les ressources superficielles, a priori plus rapidement que dans l’hypothèse de ressources souterraines aux effets d’accumulation plus marqués.
7 – Le dossier du SEDIF est très clair sur l’impossibilité à un coût raisonnable de traiter les concentrats pour lesquels le SEDIF ne voit pas d’alternative au rejet dans le fleuve. Ce sont ainsi plus de 100 000 m3/jour de concentrats (jusqu’à 140 000 m3/j selon le dernier dossier du SEDIF, soit 140 piscines olympiques par jour d’une eau dix fois plus concentrée en paramètres indésirables que l’eau du fleuve en amont) qui se retrouveront en Seine dans la traversée de Paris, complétés de plusieurs dizaines de milliers de m3 par jour issus de l’usine de Mery sur Oise, en aval de Paris. Et ces concentrats rejoindront les captages et nappes alluviales alimentant les habitants de l’ouest francilien en aval de Paris (prise d’eau du Mont Valérien, champs captants du Pecq Croissy , champ captant de Flins Aubergenville). Déjà concernées par le dépassement de la limite de qualité relative au métabolite du chlorothalonil, les usines de traitement correspondantes (Mont Valérien, Le Pecq, Louveciennes, Aubergenville) verront les concentrations des paramètres indésirables augmenter mécaniquement dans leurs eaux brutes.
8 – Le dossier comporte une analyse comparative des techniques alternatives permettant de traiter les métabolites indésirables. En particulier, le tableau de la page 97 présente l’analyse multicritères des différents procédés existants.
Tel que présenté, c’est-à-dire en s’imposant l’objectif combiné de traitement des pesticides et paramètres émergents, de la dureté et du chlore, le tableau met en avant la filière membranaire haute performance.
Par contre, comme le souligne le rapport, « pour chaque objectif du SEDIF, il existe bien une ou des solutions alternatives ». C’est l’objectif que s’impose le SEDIF de traiter ensemble les trois sujets, pourtant d’importance très inégale, qui canalise son projet vers la filière membranaire.
Le dossier présenté à l’appui de la délibération du Syndicat mixte Eau du Sud francilien a montré d’une part que l’eau sans chlore et sans calcaire ne correspondait pas à une attente forte des usagers SEDIF et que, par ailleurs, la dureté était inégalement répartie en Ile de France et n’affectait pas significativement le secteur SEDIF. Bien plus, là où la dureté des eaux captées est manifestement très élevée (Mont Valérien, Louveciennes, Le Pecq, Aubergenville), les maîtres d’ouvrage ont déjà mis en place des installations de décarbonatation dans les dix dernières années. C’est aussi le cas du secteur alimenté par Mery sur Oise avec la nanofiltration.
Si l’on s’intéresse ainsi au problème le plus sensible du moment, à savoir celui des métabolites de pesticides, alors subsiste l’alternative d’amélioration de la filtration sur charbon actif en grain, en augmentant la fréquence de renouvellement/régénération du charbon, ou en améliorant la surface de contact du charbon avec l’eau à traiter par le procédé de l’adsorption en lit fluidisé, par exemple par le procédé Carboplus de l’entreprise Stereau (groupe SAUR) présenté dans le dossier SEDIF. L’entreprise Stereau considère effectivement que son procédé peut apporter une solution au traitement du métabolite R471811 du Chlorothalonil à un coût bien moindre et sans les impacts négatifs sur l’environnement associés aux technologies membranaires.
Les techniques optimisées de filtration sur charbon actif devraient permettre ainsi de répondre aux limites de qualité jusqu’à l’obtention de résultats tangibles des mesures de prévention sur les aires d’alimentation des captages. Ces techniques peuvent être combinées avec la décarbonatation catalytique pour ceux dont les usines sont déjà équipées de ce procédé.
14 mai 2023