La preuve par les PFAS

En attendant le prochain atelier citoyen sur la qualité de l’eau potable, prévu à Saint-Denis, jeudi 29 juin, voici un premier focus sur les PFAS, des polluants dits éternels. Le SEDIF justifie son projet d’OIBP/nanofiltration par un durcissement, pourtant peu probable, de la législation européenne sur l’eau à brève échéance. Malgré un discours général alarmiste, le SEDIF ne donne pas d’informations sur la présence de PFAS dans l’eau produite par l’usine de Méry-sur-Oise, particulièrement impactée par cette pollution. Le SEDIF indique que les PFAS ne sont pas retenus par ses traitements actuels mais, dans ce cas, vu les concentrations relevées dans l’Oise, l’eau produite à Méry-sur-Oise serait très proche du seuil de potabilité. Peut-on encore attendre dix ans sans réagir?

Une justification douteuse de l’osmose inverse

Le SEDIF justifie le projet industriel de l’osmose inverse basse pression par le besoin futur de l’opérateur de traiter les micropolluants et en particulier les PFAS, les pesticides et les métabolites récemment découverts et ainsi se conformer par avance aux éventuelles restrictions de réglementation française et européenne en matière de qualité de l’eau potable et ainsi contribuer à préserver la santé publique. Le SEDIF a répété aux trois réunions générales qu’il prévoyait un durcissement de la réglementation en matière des PFAS. A ce jour, la somme des PFAS dans l’eau potable(1) est de 0,1 µg/L(2) prescrit par la directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite eau potable, et dont la disposition entrera en vigueur en janvier 2026(3). L’Agence européenne des produits chimiques a publié, mardi 7 février, une proposition visant à interdire en 2025 ces composés (avec des dérogations cependant), ouvrant ainsi la voie à « l’une des plus grandes interdictions de substances chimiques jamais imposées en Europe », selon la déclaration commune de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède à l’origine de la proposition(4). Une consultation jusqu’au 25 septembre 2023 est en cours concernant la procédure de restriction(5).

Les PFAS : qu’est-ce que c’est?

L’environnement mondial est contaminé par les PFAS, ces plus de 10 000 substances poly et perfluoroalkylées aux propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs, utilisées depuis les années 1950 dans les industries textiles, d’emballages alimentaires, des cosmétiques, des produits phytosanitaires, pour la fabrication des mousses anti-incendie, des revêtements antiadhésifs etc. Ces polluants dits éternels sont très persistants et se retrouvent dans les déchets des produits de consommation, mais aussi dans l’air, les sols et l’eau. 100 000 sites industriels émettraient des PFAS en Europe(6). La pollution est particulièrement forte autour des usines chimiques, des aéroports et des bases militaires (usage des mousses anti-incendie) et dans les zones d’épandage des boues contenant des PFAS. 12,5 millions d’Européens boiraient une eau polluée aux PFAS. Entre 2 et 17 % de l’accumulation de PFAS chez l’homme en Europe est due à l’apport via l’eau potable d’après EurEau, Fédération européenne des opérateurs de l’eau(7). La vallée du Rhône, près de Lyon, est particulièrement touchée.

L’association Générations futures a publié un rapport sur la présence des PFAS dans les eaux françaises le 12 janvier 2023(8), sur la base de données publiques de 2020. 36% des échantillons prélevés contiennent un ou plusieurs PFAS. En 2011, l’Anses avait repéré des PFAS dans 25 % des échantillons d’eau étudiés. Or les résultats de Générations futures pourraient d’après l’association être en-deçà de la réalité et ce d’autant plus que le nombre d’échantillons n’est pas réalisé de manière homogène sur le territoire.

Le gouvernement a proposé un plan sur les PFAS le 17 janvier sans mesure de réduction contraignante(9).

Sans préjuger du résultat de la consultation et de la négociation entre Etats membres, une restriction de l’usage des PFAS semble possible pour un certain nombre d’usages industriels. Néanmoins, cette restriction concernera en premier lieu les industriels – fabricants et utilisateurs des PFAS. Autrement dit, elle devrait conduire d’ici au mieux 2025 à une réduction à la source des pollutions des cours d’eau aux PFAS, en raison d’une part de l’arrêt ou de la diminution des rejets et d’autre part des courants et du cycle de l’eau.

Par ailleurs, la possibilité d’une évolution de la réglementation sur la concentration de PFAS dans l’eau est peu probable à brève échéance. En effet, la directive eau potable a été adoptée et publiée en janvier 2020, et la mise en application de la concentration de PFAS est prévue pour 2026. De plus, la première directive du même nom datait de 1998 (directive 98/83/CE) et il a fallu un travail de six ans, pour aboutir à un nouveau texte(10) : un texte européen met du temps à aboutir. Ainsi, le taux maximum autorisé de PFAS dans l’eau risque (malheureusement ?) de ne pas se durcir dans les prochaines années.

Cependant, s’ils ne sont pas traités et même avec cette restriction, les PFAS resteront dans l’environnement et dans le cycle de l’eau : par l’évaporation et l’évapotranspiration et la pluie, par l’infiltration dans la nappe, par les échanges nappe / cours d’eau.

Un taux de PFAS aux limites sanitaires pour les 880 000 habitants desservis par l’usine de Méry-sur-Oise ?

De l’autre côté, les agents du SEDIF affirment à chaque réunion que d’une part il détecte des dépassements de seuil pour certains métabolites de pesticides de manière récurrente et qu’il détecte d’autre part des PFAS à des seuils supérieurs. Ses ingénieurs affirment par ailleurs ne pas rechercher l’ensemble des polluants et se restreindre, comme le droit le permet, à la recherche des polluants réglementaires. Mais ils sous-entendent qu’en matière de PFAS, s’ils recherchaient plus, ils trouveraient beaucoup plus. Les avocats du cabinet Hugo-Lepage ont même affirmé qu’il s’agissait de mettre en œuvre le principe de précaution pour les populations, sous-entendant que les opérateurs qui refusent de mettre en place la même technologie s’exposent juridiquement.

L’agence de l’eau Seine Normandie avait déjà repéré la présence de PFAS (PFCA, PFSA, PFOS, PFHxS, PFOA) dès 2009 dans l’Oise11. “Pour le bassin Seine-Normandie, le site d’étude couvre une zone depuis Villers-Saint-Paul (60) à Maurecourt (78) englobant un site industriel (repéré dans la première campagne d’occurrence comme source potentielle) et les usines d’eau potable de Précy-sur-Oise, Boran-sur-Oise et Méry-sur-Oise. Les quatre campagnes de prélèvements ont couvert la station d’épuration de la plateforme industrielle (entrée, sortie, points intermédiaires), environ 11 points sur l’Oise, les champs captants différents points sur les filières de traitement d’eau des trois usines d’eau potable.” Les résultats concernant notre sujet sont les suivants : “les concentrations en sortie de filière de potabilisation (dizaine de ng/L) ne dépassent pas les valeurs guides proposées actuellement par certains pays pour certains PFAS ; aucun procédé de potabilisation n’est en mesure d’intercepter ces polluants hormis les techniques de filtration (nanofiltration ou osmose inverse) ; l’ozonation combinée à de la filtration, en présence de précurseurs, entraîne une augmentation des teneurs en certains PFAS.” Nous verrons  dans un prochain article que ce n’est pas le cas : d’autres techniques permettent effectivement d’intercepter les PFAS. L’association Générations futures a ensuite réalisé en avril 2023 ses propres analyses dans l’Oise, au niveau de la plateforme chimique de Villers Saint Paul, en amont de l’usine de Méry-sur-Oise du SEDIF. Cinq prélèvements ont été effectués directement dont un à la sortie d’un exutoire et 46 PFAS ont été recherchés. Les résultats  soulignent une présence très importante des PFAS en particulier au niveau de l’exutoire12.

Effectivement, les usines du SEDIF se retrouvent en aval de nombreux sites industriels émettant des PFAS, comme le souligne la carte de son schéma d’approvisionnement (page 30 du rapport d’activité 202113) et la carte interactive des journalistes du projet “Forever pollution Project”14 dont une capture d’écran a été réalisée. Les taux de PFAS sont élevés dans les eaux de surface prélevées par les usines du Sedif15 : 24,6 ng/l à Neuilly-sur-Marne (0,0246 µg/l), 29,1 ng/l à Choisy-le-Roi (0,0291 µg/l), 95,4 ng/l à Méry-sur-Oise (0,0954 µg/l), soit proche du seuil d’alerte estimé par les journalistes assistés de spécialistes des PFAS16 et du seuil de potabilité de la directive eau potable17. Le dossier du SEDIF mentionne quant à lui que “des campagnes d’analyses menées par le SEDIF confirment la présence de ces molécules dans la Seine, l’Oise et la Marne. La « somme des PFAS », paramètre réglementé à 0,1 μg/l et qui additionne les concentrations de 20 molécules préoccupantes pour les eaux destinées à la consommation humaine, atteint régulièrement dans l’Oise et ponctuellement dans la Seine la valeur de 0,03 μg/l, soit environ un tiers du seuil réglementaire.” Les valeurs sont donc similaires entre le SEDIF et le Forever Pollution project pour les prélèvements aux usines de Choisy et de Neuilly mais divergent fortement concernant Méry.

L’usine de Méry-sur-Oise fournit 880 000 habitants dans le Val d’Oise et en Seine-Saint-Denis et dispose de membranes de nanofiltration (filière membranaire) et d’une filière classique (biologique) de traitement18. Néanmoins, le SEDIF affirme dans son dossier que “les PFAS ne sont actuellement pas retenus par les traitements mis en œuvre sur [ses] usines”, malgré des investissements récents de rénovation dans cette usine. A noter que le SEDIF ne fournit pas d’informations quant au taux de PFAS dans l’eau distribuée. Mais si tel était bien le cas, alors 880 000 habitants boiraient quotidiennement une eau à la limite du seuil de potabilité en matière de PFAS, ce qui interroge d’autant la stratégie du SEDIF. Pourquoi choisir une technologie qui sera mise en service dans dix ans au lieu d’agir plus rapidement en changeant les filtres de nanofiltration et se positionnant sur la régénération des charbons actifs, deux techniques déjà efficaces, disponibles et moins chères dans le traitement des PFAS, le cas échéant avec d’autres opérateurs publics ou dans le cadre de groupements d’achats (pour réduire les coûts) ?

Carte interactive des journalistes du “Forever pollution Project”
Notes pour aller plus loin

1 Le texte de la directive européenne relative à la qualité des eaux à destination de la consommation humaine explique : “Par «Somme PFAS», on entend la somme des substances alkylées per- et polyfluorées qui sont considérées comme préoccupantes pour les eaux destinées à la consommation humaine et dont la liste figure à l’annexe III, partie B, point 3. Il s’agit d’un sous-ensemble des substances constituant le Total PFAS qui contiennent un groupement de substances perfluoroalkylées comportant trois atomes de carbone ou plus (à savoir, –CnF2n–, n ≥ 3) ou un groupement de perfluoroalkyléthers comportant deux atomes de carbone ou plus (à savoir, –CnF2nOCmF2 m–, n et m≥ 1).” Il s’agit donc des PFBA, FPeA, PFHxA, PFHpA, PFOA, PFNA, PFDA, PFUnDA, PFDoDA, PFTrDA, PFBS, PFPeS, PFHxS, PFHpS, PFOS, PFNS, PFDS.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020L2184

2 0,1 microgramme par litre (µg/L) ou 100 nanogrammes (nm/L)

10 L’initiative citoyenne européenne “Right2Water” de 2014 a mobilisé autour du droit à l’eau et la Commission a utilisé le véhicule de la refonte de la directive pour intégrer très partiellement cet enjeu.

15 A priori, il s’agit des prélèvements avant traitement par ces usines et non de ses rejets. Mais le SEDIF annonce dans son dossier que “Les PFAS ne sont actuellement pas retenus par les traitements mis en œuvre sur les usines du SEDIF”. Ce qui nous le verrons est en toute hypothèse faux (voire section II).

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