Le choix technologique du syndicat des eaux d’Ile-de-France est loin de faire l’unanimité

 Le SEDIF veut équiper ses unités de production d’un procédé de pointe qui produit une eau très pure. Au prix d’un renchérissement de son coût et d’un impact sur l’environnement, qui inquiètent les élus locaux. Par Martine Valo.

Une « eau pure, sans calcaire et sans chlore », d’une qualité proche de celle qui surgit des sources en montagne, voilà ce que le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) promet de fournir prochainement aux 4,7 millions d’habitants qu’il dessert en banlieue parisienne. Pour y parvenir, il se dit prêt à investir 800 millions d’euros en dix ans afin de faire passer ses unités de production d’eau potable à l’ère de l’osmose inversée à basse pression, une technologie de pointe utilisée pour dessaler l’eau de mer. Ce procédé sophistiqué, plus performant que la micro, ultra, voire nanofiltration, repose sur un système membranaire empêchant le passage de la plupart des molécules sauf celles de l’eau, selon le SEDIF, avec un abattement de 80 % à 100 % des micropolluants (pollutions agricoles, résidus médicamenteux, perturbateurs endocriniens, microplastiques). Le résultat est si épuré qu’il est nécessaire ensuite d’y ajouter des sels minéraux pour le rendre buvable.

Le SEDIF, qui se targue de disposer « des installations de traitement les plus importantes et modernes de France » et de servir déjà une « eau d’excellente qualité », entend ainsi réduire le calcaire aux robinets des Franciliens, renforcer leur confiance et les inciter à se détourner des eaux en bouteille. Sa technologie de haute performance doit aussi lui permettre d’anticiper les futures normes demandées par l’Union européenne sur la qualité de l’eau potable – même si celles-ci ont été actualisées dans une directive de décembre 2020. « Oui, l’atout maître contre les déchets plastiques, c’est plus que jamais l’eau du robinet, sans calcaire, sans chlore ! », s’enthousiasme André Santini (UDI), président du SEDIF depuis 1983, dans un document de présentation du projet.

Cette ambition est l’une des raisons majeures pour laquelle les élus des 151 villes desservies ont voté, en mai 2021, « à près de 90 % », le renouvellement de la délégation de service public. Actuellement, Veolia gère ses quatre unités de production.

Commentaire de la Coordination EAU Île-de-France

En réalité, il n’y avait que 100 élu.e.s présent.e.s (et 15 pouvoirs) au comité syndical du SEDIF du 27 mai, la délégation de service public a obtenu 98 voix pour, dix contre et deux abstentions, comme en atteste le compte-rendu sommaire en ligne sur le site du syndicat. 5 élu.e.s présent.e.s ou représenté.e.s et 20 élu.e.s, absent.e.s et non représenté.e.s, n’ont pas participé au choix majeur du mode de gestion. Et 15 villes d’Est Ensemble et de Grand Orly Seine Bièvre ne siègent plus au comité syndical puisqu’elles sont sorties du SEDIF le 1er janvier 2018. On est donc loin des « 151 villes à près de 90% ». Le SEDIF reste verrouillé mais est en pleine crise. 

Le refus du préfet

Pourtant, ce grand projet est loin de faire l’unanimité, critiqué notamment au nom de l’écologie. Vendredi 21 janvier, en ne répondant pas dans les délais légaux à la demande d’autorisation environnementale pour l’unité de production de puits d’Arvigny, située à Savigny-le-Temple, en Seine-et-Marne, le préfet du département l’a implicitement refusée. De capacité réduite (22 000 mètres cubes par jour) à l’échelle du Sedif qui distribue plus de 780 000 m3/jour, cette unité devait servir de site pionnier, moyennant 34 millions d’euros, avant que l’osmose inverse à basse pression (OIBP) ne soit déployée dans les trois autres usines à l’horizon 2030.

« Il est rare d’essuyer un refus alors que l’enquête publique nous est favorable, déplore Raymond Loiseleur, directeur général des services du SEDIF. Nous ne le comprenons pas, alors que nos équipes travaillent avec les services de l’Etat depuis 2018 sur ce projet.  »

Dans son avis rendu en juillet 2021, le commissaire enquêteur considère, en effet, que la mise en place d’un procédé OIBP à Arvigny « constitue une avancée technologique considérable dans le domaine de la distribution d’eau potable, jamais égalée à ce jour ». Il l’approuve donc, ainsi que l’installation d’une conduite de 7,4 kilomètres de long qui va permettre de rejeter dans la Seine les « concentrats » – c’est-à-dire tout ce qui a été filtré : nitrates, phosphates, calcium, résidus de pesticides, ainsi que des additifs et des produits qui évitent le colmatage des membranes (polycarboxylates et phosphonates notamment). Ce point « soulève une inquiétude majeure », constate le commissaire, Christian Hannezo, parmi les rares observations recueillies sur le territoire des quatre communes concernées par cette canalisation. Il note que les collectivités locales sont les premières à exprimer leur désaccord, avec celles de Grand Paris Sud en fer de lance.

Tension sur la nappe souterraine

Les élus de cette communauté d’agglomération, qui représente 352 000 habitants de 23 communes à cheval sur la Seine-et-Marne et l’Essonne – dont Savigny-le-Temple et les communes traversées par la canalisation –, jugent le coût de l’évolution d’Arvigny « exorbitant ». Comme l’indique l’enquête publique, les dépenses de fonctionnement de celle-ci devraient passer de 1 700 000 euros à 4 700 000 euros par an. Autres reproches : les besoins en énergie qui devraient presque doubler avec le nouveau procédé, ainsi que les 3 000 m³ de concentrats quotidiennement rejetés sans traitement dans la Seine.

« C’est l’équivalent de deux piscines olympiques par jour, souligne Michel Bisson (PS), président de Grand Paris Sud. Pour produire son eau plus pure que pure, l’usine devrait prélever 15 % de plus dans la nappe souterraine de Champigny, qui est déjà en tension l’été. Cela va à l’encontre des efforts déployés pour reconquérir la qualité de la ressource et la biodiversité de la Seine. » Il s’agit là, selon lui, de la préoccupation première des élus locaux.

L’agence de l’eau Seine-Normandie estime, de son côté, que l’OIBP présente « des effets sur l’environnement (rejets, bilan énergétique défavorable) » qui ne sont pas suffisamment contrebalancés par l’intérêt du projet. De plus, l’investissement ferait augmenter la facture du consommateur d’environ 0,20 euro par m³, sur un coût actuel de 1,30 euro par m³. Le Sedif argue des économies réalisées par les détenteurs d’adoucisseurs d’eau (soit environ 8 % de ses abonnés) grâce à la réduction du calcaire, et chiffre plutôt une augmentation des prélèvements d’eau brute de 10 %, conformes aux volumes autorisés par les services de l’Etat.

« Reprendre le contrôle public du grand cycle de l’eau »

Alors que la dégradation de l’eau devient problématique pour les acteurs du secteur, ne serait-il pas préférable de miser sur sa protection à la source plutôt que dans des technologies de traitements de plus en plus poussés ? Le Sedif répond d’une part qu’il est tributaire, pour l’essentiel, de rivières exposées aux pollutions diffuses ou accidentelles sur son vaste territoire francilien, d’autre part qu’il participe à plusieurs programmes de sensibilisation, notamment des agriculteurs, à proximité de la zone de la nappe de Champigny. « Nous devons tenir compte de la rémanence des phytosanitaires qui ont été utilisés il y a des décennies et refont surface aujourd’hui, explique-t-on au Sedif. Nous sommes convaincus que l’OIBP va permettre de répondre dès maintenant à un problème de longue durée. »

La mutation technologique devrait donc progressivement concerner les trois autres usines. Celles de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) et de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) traitent des eaux de surface qu’elles pompent et rejettent dans la Seine et la Marne. Celle de Méry-sur-Oise (Val-d’Oise) est déjà équipée de membranes pour la nanofiltration depuis des années et rejette déjà ses séquestrats dans l’Oise. « Nous sommes déterminés à poursuivre ce projet d’avenir et d’intérêt général », affirme André Santini, dans un communiqué du 27 janvier.

« Nous demandons au SEDIF de retirer son projet et d’accepter de débattre avec l’ensemble des autorités organisatrices de l’eau de la région, répond Michel Bisson. A Grand Paris Sud, nous voulons reprendre le contrôle public du grand cycle de l’eau – depuis la question des inondations jusqu’à la gestion de la distribution, tout en protégeant l’environnement. »

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